23 mai 2008

Travailler avec les Indiens: la dualité spiritualiste et modernisme

Par Prakash Jivan (Cahiers Des RH 2008)


Dans sa ligne de défense face à Mittal, Guy Dolle ex PDG d’ARCELOR avait fait figurer en bonne place « l’incompatibilité des cultures », présentée comme un argument de taille.

L’importance de ce paramètre a fait que consciemment ou pas, ce grand capitaine d’industrie s’est laissé maladroitement emporter par l‘exagération et la caricature en affirmant : « Mittal et Arcelor n’habitent pas sur la même planète »

Au-delà de l’absurdité des propos, l’ex PDG d’Arcelor n’avait pas tort sur un point quand il disait « Tout oppose les deux groupes, tant en termes d’acier produit que de culture et de gouvernance d’entreprise »

Faut-il pour cela que les groupes limitent leurs opérations de croissance externe sur des cibles ou des partenaires de même culture ? Bon nombre d’OPA ne seraient jamais décidées et les relations d’affaires se cantonneraient à un périmètre domestique insuffisant pour les entreprises qu’elles soient grandes ou petites.

Heureusement, il n’en est rien. Dans les deux cas, la prise en compte des divergences culturelles et de leurs conséquences (gouvernance, logique d’action, modes de pensée, relations de travail, vision du monde. ) est une nécessité dans un contexte de mondialisation aboutissant à l’idée que chaque village est progressivement voué à se confronter au reste du monde.

L’Inde s’est hissée de la 15ème à la 9ème place comme partenaire de l’UE. Avec son taux de croissance de plus de 7%, ce pays s’affirme comme un acteur global sur de nombreux pôles pour ne citer que les recherches médicales et scientifiques, les biotechnologies, les services, l’automobile et les technologies de l’information.
La perspective de cette croissance s’appuie sur un modèle économique en trois points : la mise en valeur des ressources humaines, le développement fondé sur l’investissement de la connaissance et l’emploi des cerveaux.

Le nombre de brevets développés par des entités indiennes rentrés aux USA à 2002 est significatif : Texas Instrument 225, Intel 125, Cisco systèmes 120, IBM 120, Philips 102, GE 95 …

A cet égard, les ressources en talents paraissent importantes. Les 380 universités, les 11200 instituts non ingénieurs et les 1500 centres de recherches fournissent annuellement 260.000 ingénieurs, 300.000 diplômés d’instituts et 2.100.000 autres diplômés dont 10.000 Phd.
Le nombre de ces étudiants aux USA atteint 75.000 pour 65.000 étudiants originaires de Chine.

Une partie de cette offre est absorbée par les pays d’accueil dont majoritairement les USA où 12% des scientifiques américains, 38% des médecins , 36% des chercheurs de la Nasa, 45 % des cadres de Microsoft, 28% des employés de IBM, 17% de Intel et 13% des employés de Xerox sont d’origine indienne.

La France, avec un temps de retard sur les Belges, les Britanniques et les Allemands, a pris conscience que l’Inde est devenue une destination d’avenir. 300 entreprises françaises y sont déjà implantées et les Chambres de Commerce et d’Industries Françaises prennent des initiatives pour accompagner les PME souhaitant étendre leur activité en Inde.

Dans cette perspective, les entreprises françaises qu’elles soient multinationales ou PME auront des besoins croissants en matière d’accompagnement à la connaissance de la culture des affaires en Inde qui est effectivement plus complexe que celles en cours en Europe.

De la compréhension de ce qui «unit » et « sépare » des Indiens des Français dépendra l’efficacité des opérations mises en œuvre.

Il faut noter qu’aujourd’hui on assiste dans le monde des affaires en Inde à un extraordinaire mouvement vers l’extérieur ce qui fait que le management indien, sur un certain nombre de points évolue très rapidement et s’adapte pour atteindre les standards européens. Ceci est sans conteste une force dans les relations d’affaires qu’ils auront, à l’avenir, avec les pays de l’ouest.

Bon nombre d’hommes d’affaire français ont rencontré des difficultés quant à leurs différences avec leurs homologues indiens. Le développement des formations spécifiques leur a permis d’adopter quelques stratégies gagnantes face aux spécificités des pratiques en cours en Inde: une distance hiérarchique forte, un sens collectif parfois déstabilisant, un rapport au temps cyclique, une pensée inductive sans oublier le sens du devoir qui vient troubler les frontières entre le professionnel et le privé.

Il leur est toutefois plus difficile d’oublier leur laïcité à la française, leurs réflexes uniformes face au communautarisme à l’indienne, leur cartésianisme, leur mode de communication très direct et surtout d’apporter une petite dose de spiritualité dans une relation d’affaire nécessairement pragmatique. La compréhension de ces pratiques d’affaires et de leurs logiques viendrait donner du sens aux comportements de leurs homologues indiens qui ne viennent pas d’une « autre planète » mais bien de notre « village global » issu d’une mondialisation irréversible.

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